La main agressive de l’homme peut interrompre de manière irréversible l’évolution de notre terre, de notre maison commune, la détruire avant l’accomplissement des temps. Et pourtant, de manière métaphorique, Dieu appelle l’homme dans le jardin : « Où es-tu ? »
Je suis né au pied des Pyrénées devant l’éclat des neiges du mont Perdu, les couleurs de l’automne, les lumières d’un ciel toujours changeant, la géométrie du vol des oies sauvages et le coquelicot- ma fleur favorite.
J’ai vu le monde devenir difforme et uniforme. Je me suis révolté, je me suis indigné contre la déforestation, la pollution des océans, la défiguration de notre paysage, la bombe d’Hiroshima… Je me suis indigné tout en gardant le cœur émerveillé par la beauté de la création, la beauté indicible des formes, des lignes, des horizons insaisissables.
J’ai voulu résister, ne pas laisser détruire les haies, les fumées noires envahir le ciel bleu, le vent porter les napalms qui tuaient les enfants du Viet Nam et les abeilles d’ici. J’ai voulu résister aux épandages chimiques qui ont eu raison de mon pavot des champs.
Je me suis indigné à en chanter de larmes, à redire debout mon émerveillement d’être né dans ce jardin, d’être né dans cette maison, notre maison commune, cette terre.
Cette terre, elle ne m’appartient pas : je l’ai reçue en don, par grâce, et je lui appartiens car elle a une origine, une main de tendresse que l’on retrouve peinte dans la coupole de la chapelle Sixtine, qui nous relie à cette source que d’aucuns appellent Dieu, qui n’est pas un barbu despotique mais une source de vie, d’amour et de paix, source qui s’éprouve dans la relation à l’autre, l’amour que nous nous portons, la paix que nous nous désirons, la justice que nous recherchons, le partage réciproque.
Et cela m’a émerveillé !
Aujourd’hui, notre maison commune vacille sous les coups d’un système de vie insouciant qui ne respecte plus le poids, le nombre et la mesure[1]des choses et des êtres. Je ne vois plus au printemps les champs rougir au gré des étamines de mon coquelicot. Je ne vois plus le vent le courber et l’étreindre. C’est une mauvaise herbe me dit-on mais elle est notre bien puisque son suc nous soigne, sa couleur nous apaise et le frelon la butine.
Les plantes repoussent tant qu’elles ont des racines ; en les éliminant elles ne repousseront plus : racines de l’histoire, de la vie, de nos arbres généalogiques, de nos cultures, de notre croyance en ce qui fait de nous des êtres uniques.
Le dispositif mondial du profit absolu s’appuie sur une égologie que smartphones, tablettes et autres supports, renforcent à coup de selfies patho-narcissiques, de cynisme, de violence et de peur.
L’égologie sans racines est bien le maître-mot de ce temps : mon ressenti, mon bien être, c’est mon choix, c’est mon je qui compte et je cherche désespérément en écho une réponse à ce moi que j’exhibe, mais cette réponse ne vient jamais ; mes selfies, s’ils sont vus, génèrent des flux commerciaux incitant à l’achat ou aux likes.
« Où es-tu ? »
Le langage du nouveau Babel[2] énuclée la Parole, l’algorithme produit des coquilles vides, des structures informatives artificielles à l’opposé des propos de saint Jean de la Croix : « Une seule pensée de l’homme vaut plus que l’univers tout entier. Ainsi, il n’y a que Dieu qui soit digne d’elle. »
« Où es-tu ? »
Dans l’Homo Deus de Yuval Noah Harari ?
Dans la fascination pour les neurosciences qui nient tout libre arbitre et toute liberté ?
« Où es-tu ? »
Répondre, c’est entrer en résistance par l’émerveillement de ce que la Création nous donne, alors : oui, émerveillons-nous !
Émerveillons-nous de chaque goutte de pluie, de l’abeille qui bruit, de l’espadon qui tranche, des glaciers de Falkland. Émerveillons-nous du regard de l’enfant, du vieillard rutilant de sagesse. Émerveillons-nous des jardiniers que nous sommes et qui portons le poids du jour pour étancher la soif et assouvir la faim.
Que nos datas se constituent par les noms des fleurs, des plantes, des arbres, des insectes pour que nous puissions les reconnaître et les aimer, nous en émerveiller, leur parler comme saint François d’Assise, les appeler puisque nous en sommes les jardiniers de la Beauté.
C’est cela, l’écologie intégrale : l’émerveillement devant le beau, le bien, le vrai, contenus dans la nature, notre maison commune et dans chaque être humain en plénitude.
Après un orage de grêle qui avait dévasté son jardin mon père me dit : « Aime la terre et tu verras que jamais rien n’est perdu ! » Papa ne voyait que le fruit à venir. Il savait s’émerveiller devant la coccinelle sur son doigt qui dansait pour lui. Il s’émerveillait en sifflant aux oiseaux qui lui répondaient, aux arbres qui le reconnaissaient d’une caresse de palme.
Émerveillons-nous, et nous résisterons aux pires des cyclones !
Extrait d’un texte que vous pouvez lire sur le blog…
Daniel Facérias, chanteur, auteur compositeur, metteur en scène, titulaire d’un doctorat sur les troubadours du XIIème siècle, diacre permanent– nouveau CD « La guerre vient… » fondateur avec son épouse Anne du mouvement d’artistes de la Diaconie de la Beauté https://db.ldhproduction.fr
[1] Livre de la Sagesse 11, 21.
[2] Google